La passion, le temps, l’argent : La trilogie de l’investissement personnel du PE

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La passion, le temps, l’argent : La trilogie de l’investissement personnel du PE

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Voici un article est un peu différent de ceux que j’ai l’habitude d’écrire ici. Un article très personnel surtout. Pas de partage cette fois. Pas de conseils non plus. Si j’ai choisi d’écrire ces mots, c’est uniquement car j’ai ressenti le besoin de mettre par écrit, mon témoignage (et, à travers lui, celui de nombreux autres collègues que j’ai pu rencontrer sur mon parcours). Loin de vouloir me plaindre, pousser un coup de gueule ou autre, je souhaite juste porter à la connaissance de tous de simples faits qui, comme me l’ont prouvé les derniers échanges que j’ai pu avoir sur le sujet avec des gens de tous horizons, semblent connus, acceptés et compris du plus grand nombre. De simples faits qui, en soi ne m’ont jamais dérangé jusqu’à il y a peu, mais qui sont la cause de doutes ou des freins pour de nombreux collègues ce qui engendrent chez eux non pas des regrets mais, pire encore, des remords. Petit retour en arrière personnelle sur un sujet (trop) commun à l’Ecole.

Ne sachant pas vraiment par où commencer, je vais démarrer par le moment où l’idée de cet article m’est venue. Alors que j’étais présente au salon Educatech-Tice pour co-animer un atelier sur l’aménagement des espaces scolaires, j’ai pu découvrir beaucoup de matériel et de mobilier flexible qui faisait bien rêver.

J’ai pu échanger avec des fabricants, des concepteurs mais aussi avec de nombreux collègues adeptes de la classe flexible. Inévitablement, face à ce magnifique matériel, un sujet ne pouvait être évité : celui du prix de revient du mobilier en question.

Loin de moi l’idée de vouloir critiquer ici les tarifs pratiqués et cela pour plusieurs raisons ! D’une part, parce que je ne m’y connais absolument pas pour pouvoir émettre un avis d’expert sur le sujet et, d’autre part, parce que (étant moi-même fille d’artisan) je sais que derrière chaque objet fabriqué se cachent des visages qui redoublent d’idées, de travail et de sueur pour aboutir à ce résultat ce qui peut, personnellement en tous cas, me suffire à justifier les prix de production. Tout travail mérite salaire. Je ne m’attarderais donc pas sur ce sujet précis.

Mais, comme chacun le sait bien, le nerf de la guerre a toujours été, est, et restera (certainement à jamais) l’argent ! Malheureusement, cela ne se trouve pas sous le sabot d’une vache (dommage d’ailleurs, j’en ai tellement autour de chez moi que je pourrais être milliardaire en quelques secondes !)

Ainsi au cours de ma visite, j’ai pu rencontrer des nombreux collègues s’étant lancé dans l’aventure flexible ou hésitant à sauter le pas, qui m’ont posé la même question

« Mais comment tu as fais pour financer tout cela ? »

Et bien la réponse est aussi simple qu’hallucinante : j’ai travaillé !

En effet, je ne l’ai jamais caché ici, ni ailleurs, depuis que je me suis lancée dans le flexible avec mes collègues, j’ai (nous avons !) fait le choix de financer en grande partie notre aménagement sur mes propres deniers.

« Mais pourquoi ? »

A cette question j’hésite entre deux réponses : « Je n’avais pas le choix. » et « C’était mon choix ».

Quand nous nous sommes lancées avec mes collègues, rien ne nous permettait de dire si ce que nous tentions serait « viable », efficace ou pertinent. Quand on parle aujourd’hui de notre pratique comme d’une « innovation pédagogique », nous n’avions pas du tout ces mots en tête lors de nos réunions informelles du week-end et des vacances. Pour nous, c’était de l’adaptation, des tentatives face à un besoin ressenti. Cela l’est d’ailleurs toujours car rien n’est jamais vraiment terminé et abouti dans ce métier je crois tant les choses bougent et changent à un rythme fou. A aucun moment nous n’avons eu (et nous n’avons toujours pas d’ailleurs) l’idée de faire quelque chose de « révolutionnaire », d’ »innovant » ou autre chose de ce genre. C’était vraiment de l’expérimentation personnelle pour tenter de répondre à des problématiques qui étaient les nôtres.

En même temps, nous n’avons pas eu le choix car, cela nécessitait un investissement financier de départ (principalement pour toute la partie « aménagement des espaces » que nous avons choisi d’approfondir une fois que la partie « pédagogie et gestion de classe » avait été mûrement pensée et mise en œuvre concrètement) pour lequel nous n’avions pas de budget dédié (en dehors de notre budget « classe » que je souhaitais et souhaite encore personnellement réserver autant que possible à l’achat de l’équipement des élèves qui sont les miens sur une année donnée.). Pour pouvoir répondre aux besoins ressentis dans nos classes, nous souhaitions mettre en fonctionnement nos idées et nos envies rapidement c’est-à-dire tant que nos élèves  étaient encore « nos » élèves. Ils étaient d’ailleurs notre seule variable connue et un minimum maîtrisée. Et pour agir vite, dans le métier, on n’est jamais mieux servi que par soi-même (malheureusement … ou pas d’ailleurs ! ;-p). Donc, on a sorti le porte-monnaie.

Mais, d’un autre côté, cela nous permettait d’être les « seules maitresses à bord ». En choisissant de financer tout cela à nos propres frais, nous avions aussi notre « conscience pour nous » disons. Autrement dit, si jamais nos essais (tentatives, expériences, improvisations ou tout autre terme qui vous conviendra mieux) n’aboutissaient pas à une réussite (là encore tout est relatif évidemment), nous aurions pu assumer les conséquences de cet échec seules, sans entrainer personne avec nous (collègues, école, mairie …) car, le premier gros doute auquel nous avons fait face a été : « Et si on se plantait totalement ? ».

Après tout, nous n’avions pas vu fonctionner l’organisation à laquelle nous pensions. Lire des livres pour se documenter c’est bien mais cela ne vaut pas une vision claire et nette des éléments en action. D’autant qu’il nous fallait transposer la pédagogie américaine à une mise en oeuvre dans notre contexte d’enseignants français ce qui nécessitait déjà pas mal d’ajustements et, du coup, un saut dans l’inconnu complet. Aussi, il nous était impensable d’utiliser le budget de l’école ni même celui de la mairie pour mener notre « petite expérience pédagogique personnelle ». Le risque de se prendre un mur et de gâcher par la même occasion de l’argent qui aurait pu servir à bien d’autres choses peut-être plus « essentielles » était trop grand. Nous avons donc commencé simplement, avec ce que nous avions sous la main : les supports pédagogiques dont nous disposions déjà (cahiers, fichiers, jeux de l’école …), le mobilier présent dans l’école (en l’adaptant, en le détournant …) cela dans le but d’économiser au maximum.

Dans un deuxième temps nous avons choisi d’acheter à nos frais des assises supplémentaires (d’occasion ou neuves mais à prix raisonnables). L’idée était de pouvoir disposer de matériel que nous pourrions prendre avec nous en cas de changements d’établissement ou autre. Ainsi nous ne re-partirions pas zéro ailleurs mais avec des meubles « à nous ».

Il est important pour moi de préciser que cette étape n’aurait j’amais été possible sans l’accord et le soutien de nos familles respectives car l’investissement, au fil des mois, fut conséquent. Merci à mon mari pour sa compréhension, son soutien, les solutions « système D » qu’il trouvait avec mon papa pour donner à mes idées parfois étranges … Sans lui,  jamais je n’aurais pu mener ce projet fou aussi bien ni autant m’épanouir dans ma classe comme c’est le cas actuellement.

Nous avons donc dépensé beaucoup pour nos classes mais, malgré tout, depuis les premiers changements, nous avons eu 2 grandes chances :

Avoir une équipe au top ! Nous avons pu, mes collègues et moi, bénéficier du soutien entier de nos autres collègues, non-tentés par le flexible, mais malgré tout pas opposants à nos idées pour autant. Parmi eux, il y avait (et il y a toujours <3) notre directrice en or massif. Elle nous a soutenu, aidé et nous encourage encore aujourd’hui. En plus de son oreille attentive, de son épaule pour pleurer, elle nous a donné beaucoup de temps et d’idées, elle a monté des dossiers et fait des demandes de budget pour nous essayer de nous aider à changer le mobilier.. Elle a été un vrai rocher pour nous et je pense que jamais nous n’aurions pu faire le tiers de ce qui a été tenté sans son soutien. Jamais nous ne pourrons la remercier suffisamment car c’est elle qui a fait les démarches nécessaires pour que nous puissions …

bénéficier d’un budget exceptionnel il y a deux ans de cela maintenant. Grâce à ce budget offert par notre mairie, nous avons pu acquérir des Ztools et des Tabourets Culbuto en plus de meubles de rangement. Ce matériel au prix conséquent (mais, pour le coup, non plus « détourné » mais bien adapté à une pratique de classe flexible), jamais nous n’aurions pu nous l’offrir à nos frais. (Où alors en mettant le compte bancaire à découvert … à nouveau ! #oups). Mais, il n’y a pas à dire, quel bonheur ce fut de pouvoir offrir ce type d’assises aux élèves qui en avaient besoin ! Le gain de place et l’efficacité étaient également au rendez-vous. Honnêtement, cela m’a fait du bien d’installer dans ma classe du mobilier que je n’avais pas eu à payer de ma poche.

Se lancer dans une classe flexible sans financement c’est possible, oui.

Nous l’avons fait … au départ. Mais cela relève finalement plus du « bricolage », de la « dépanne » … que du durable. Au bout d’un moment, quand on voit que ce qu’on fait tient la route, fait ses preuves, etc … il faut bien l’avouer, on se lasse du « système D », on a aspire à autre chose et, même, on peut en avoir a marre de toujours sortir la CB. D’autant qu’il est de la responsabilité de chacun et chacune de veiller à choisir du matériel (acheté ou de récupération) qui soit en accord avec les besoins physiologiques des enfants (ce qui n’est pas évident quand on se lance en tous cas).

Afin de miser sur du long terme, la nécessité d’un financement est indéniable et celui-ci ne pourra pas jamais se faire uniquement sur les budgets des écoles et encore moins sur le budget d’une classe. Il est devenu, à mon sens, indispensable de disposer de la coopération des mairies, des collectivités locales et de toutes les autres structures à même de pouvoir financer ce type de projet.

Et c’est là que se pose le plus gros souci je pense. Car quand il s’agit d’argent et d’investissement, les chiffres comptent plus que le reste.

La classe flexible n’a pas été à ce jour (et à ma connaissance en tous cas) soumise à une réelle expérimentation. Ainsi, les effets de ce type de fonctionnement sur les apprentissages et sur les élèves restent encore « inconnus », soumis à critique et à de nombreux doutes car ils ne sont pas « chiffrés« . Confiance, bien-être, écoute, etc … ne font malheureusement pas le poids face à la puissance des nombres. C’est encore Saint-Exupéry qui l’explique le mieux …

« Les grandes personnes aiment les chiffres. Quand vous leur parlez d’un nouvel ami, elles ne vous questionnent jamais sur l’essentiel. Elles ne vous disent jamais : Quel est le son de sa voix ? Quels sont les jeux qu’il préfère ? Est-ce qu’il collectionne les papillons ? Elles vous demandent : Quel âge a-t-il ? Combien pèse-t-il ? Combien gagne son père ? Alors seulement elles croient le connaître. »

Le Petit Prince de Antoine de Saint-Exupéry

Actuellement, quand on ose enfin (oui parce qu’il y a beaucoup de craintes de la part de nombreux collègues d’oser faire le premier pas de peur de sa voir qualifier de « fou de service », de « maitresse chelou », d’enseignant « illuminé » aussi ai-je déjà pu entendre dans certains témoignages …) se rendre dans les sphères décisionnelles pour parler équipement, mobilier, budget … la classe flexible devient « l’ami » évoqué par le Petit Prince plus haut.

Pas de chiffres à proposer . Pas d’argent à donner.

Le chemin sera encore long très certainement. D’autant que, la classe flexible n’est pas une méthode unique et miracle. Je parle ici de ce fonctionnement en particulier car c’est finalement celui dans lequel je m’épanouis personnellement et celui que je maitrise le mieux aussi. Je sais qu’il existe beaucoup d’autres fonctionnements, pratiques, pédagogies possibles et parfois même associables entre elles. Tant d’autres collègues mènent, que ce soit ouvertement ou dans le secret des murs de leur classe, des adaptations, des tentatives, des « p’tites choses » qui font leurs preuves ! Mais, là encore, très souvent (trop !) à leurs propres frais pour, comme ce fut notre cas, ne pas prendre trop de risques, agir vite … Bref, simplement croire en leurs idées. (Et c’est peut-être là, le cœur du réel problème qui se joue à l’école : Croire en les enseignants … simplement. Mais c’est là un autre sujet et un autre débat aussi sur lequel je ne m’aventurerai pas plus loin. ;-)).

Après plusieurs années à faire ma classe de cette manière, en comptant en grande partie sur mes propres revenus, je dois reconnaître que je mets désormais, tout doucement, un frein à tout cela. Si cela m’a bien suffi jusque-là, j’aspire à présent à un équipement plus solide, résistant, adapté, normé et qui ne serait pas à mes frais personnels comme ce fut le cas auparavant (Oui, car mine de rien, il ne s’agit pas là de quelques euros mais bien de plusieurs centaines qui sont passées directement de mon travail à … mon travail !).

Cela devient un peu usant de travailler chaque jour en classe pour finalement pouvoir « juste mieux travailler »

… et je comprends ainsi très bien que de nombreux collègues ne désirent pas passer par le même parcours que celui décrit plus haut. Avec le recul, je ne peux que reconnaître que cette évolution m’a demandé un investissement personnel important et aurait pu causer des « dommages collatéraux » auprès des miens. Je ne souhaite pas que mes enfants puissent un jour me reprocher d’avoir pensé plus à mon travail qu’à eux. Ce métier, cette vocation, cette passion, peut, à la longue, avoir des effets néfastes sur nos vies persos si on ne se pose pas soi-même des barrières.

Aussi, même si j’aime mon métier, ma vie de ma famille comptera toujours plus dans la balance.

Je voulais donc par cet article, mettre un tout peu en lumière la vérité sur ce que j’appelle en famille et entre amis « la face cachée des salles de classes ». Mais attention, il n’y a pas besoin de vouloir mettre en place une classe flexible intégrale pour mettre à jour cette face cachée. Elle se camoufle très souvent dans bien moins que ça : la plaquette de pâte à fix acheté au courses, des punaises prises au détour d’un rayon, un album de littérature de jeunesse lors d’une sortie en famille chez le libraire, un paquet de feuilles à plastifier commandé sur le Drive … autant de « petites bricoles » que tout enseignant peut acheter, chaque mois (pour ne pas dire chaque semaine parfois …) pour « faire tourner leur classe ». Et cela fini par chiffrer (de quoi ravir les « grandes personnes » ;-p).

Rares sont les métiers où les employés financent eux-mêmes leur poste de travail.

C’est pourtant le cas d’une grande majorité d’enseignants.

J’encaisse sans broncher toutes les critiques et même tous les clichés en lien avec mon métier.

Aucun souci.

Je ne râlerai pas et ne dirai rien car il n’y a rien de plus épuisant finalement que de tenter de convaincre des personnes qui ne souhaitent pas l’être. (De toute façon comme dit mon mari : « C’est pas quand elle parle qu’il faut s’inquiéter. C’est plutôt quand elle se tait. Là il faut trembler et fuir. » ;-p).

En revanche, vraiment, je tiens à mettre un point d’honneur sur ce sujet car, j’aime mon métier, c’est pour cette raison d’ailleurs que cela me tient à cœur de mettre les choses au clair : Oui, ma classe, c’est moi qui l’ai payé !

A tort ou à raison, peu m’importe.

Chacun aura son avis sur la question. Aussi, si je « dois mon salaire à la société » comme certains aiment à le penser et à le répéter régulièrement, rassurez-vous !

Les millions que je gagne chaque mois ne finissent pas entièrement dans l’entretien de ma somptueuse villa au bord de l’océan ni dans mes merveilleuses vacances au bout du monde durant mes loooongues semaines de farniente offertes par le contribuable. (#seconddegre #ironie)

Pas du tout !

Ils retournent très souvent dans ma classe pour être utiles à mes élèves.

Tout ce que je fais dans mon travail, au quotidien, comme la majorité de mes collègues (et contrairement à tout ce que l’on peut entendre autour de la table aux repas de famille ou dans les médias aussi parfois), c’est pour mes élèves.

Non seulement j’aime mon métier mais, SURTOUT, j’aime mes élèves.

Bien sûr pas autant que je n’aime mes propres enfants (comme n’importe quelle maman bien sûr. 😉 Et puis mon périnée l’accepterait difficilement ;-p LOL) mais, mes « petits loups » comme je les appelle, même s’ils sont tous très différents, qu’ils s’en sortent sans peine dans les apprentissages ou qu’ils galèrent comme pas possible, qu’ils soient bavards ou qu’ils soient discrets, qu’ils soient « sages » ou plus remuants, qu’ils parlent français ou qu’ils viennent d’ailleurs, tous autant qu’ils sont, même s’il y a des hauts et des bas, TOUS, je les aime, pour la simple et bonne raison que la passion, le temps et l’argent que je mets dans ma classe, ils me les rendent en centuple par leur sourire chaque jour que j’ai la chance de passer auprès d’eux.

La vie est courte. Les élèves nombreux. Parce qu’ils seront bientôt remplacés par d’autres et que demain sera vite hier, s’il faut vraiment donner des chiffres pour avoir du poids et être entendu des « grandes personnes », alors je choisis pour ma part de compter et savourer les si courtes et si fuyantes minutes que j’ai la chance de pouvoir passer auprès de chacun d’eux.

Merci à celles et ceux qui auront eu le courage de me lire jusque là. Bon courage à chacun et chacune de vous dans vos projets. Croyez en vous. Personne d’autre ne saura le faire mieux. 😉

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