Cette année, pour la première fois depuis le début de ma carrière, j’ai au sein de ma classe un élève atteint de surdité. Ne connaissant rien à ce type de handicap, j’ai passé un été très studieux pour découvrir et apprendre la LSF afin de l’intégrer au maximum à ma pratique et au projet de classe afin que cette expérience soit non seulement enrichissante pour moi mais aussi et surtout pour tous les élèves.
En juin dernier mes collègues d’ULIS m’ont informé qu’en septembre ma classe compterait le petit C. parmi ses élèves.
C. est sourd et appareillé. Malgré cela, il n’entend que très peu, ne s’exprime pas à l’oral, lit sur les lèvres et apprend la LSF pour communiquer.
Des élèves en grande difficultés scolaires ou porteur de handicap, j’en ai connu et eu en nombre depuis mes débuts. Mais des élèves atteint de surdité, jamais encore !
Mon cerveau a donc fait ce qu’il fait toujours quand il se retrouve face à un nouveau challenge : il a cogité !
Comment je vais faire pour l’accueillir ?
Je ne maitrise pas la LSF, comment vais-je faire pour communiquer avec lui ?
Et les autres élèves, comment vont-ils communiquer avec lui ? …
Et ce n’est qu’un tout petit aperçu de touuuuutes les questions qui me sont venues.
Il me fallait trouver des réponses à mes questions pour pouvoir aborder l’année « armée » et sereine.
Partant d’un postulat simple qui est que l’école en France se veut être de plus en plus inclusive, je me suis dit que je trouverais certainement des pistes d’informations et de documentation sur les sites officiels.
J’ai donc sorti mon petit PC, ouvert mon navigateur de recherche et me suis mise au boulot.
Et j’ai en effet trouvé pas mal d’articles sur la scolarisation des élèves sourds et malentendant !
Références sur le cadre d’accueil des élèves porteur de TFA
Sur le site du ministère, j’ai trouvé des informations sur les modalités d’accueil et d’enseignement, les dispositifs à mettre en place, etc …
J’ai aussi pris connaissance de l’état des lieux et des recommandations données par le Conseil Scientifique de l’EN sur la scolarisation des élèves sourds en France ICI.
L’ouvrage de la collection Repères Handicap dédié au même sujet donne également un cadre d’action et des pistes pour accueillir et enseigner aux élèves à TFA. (Je ne les retrouve plus les pages où j’avais trouvé ces documents sur le net alors je vous mets le document en lien direct).
Voici aussi la vidéo de présentation du rapport de CSEN
Sur le site du Réseau Canopé, j’ai pu trouver différents documents portant sur les troubles des fonctions auditives notamment les fiches CAP Ecole Inclusive très complètes et riches. Il en existe sur de nombreux sujets et je vous conseille vraiment d’aller y jeter un coup d’oeil.
Accueillir et Enseigner
Après toutes ces découvertes, je me sentais plus au point sur le cadre d’accueil des élèves porteurs de TFA.
Est-ce que je me sentais prête à démarrer l’année scolaire auprès de C. après tout cela ? Pas du tout !!!
Je ne pouvais pas dire que je n’avais rien appris durant ces nombreuses heures de recherche et de lecture mais je ne pouvais pas dire non plus que je me sentais prête à accomplir cette nouvelle mission au mieux.
Je me sentais toujours autant désarmée pour une raison toute simple : il y a une grande différence entre « accueillir un élève porteur de TFA » et « enseigner à un élève porteur de TFA ».
Je me sentais prête pour accueillir mon petit C. à la rentrée de septembre, là n’était pas le souci. Je savais comment me placer en classe, comment agir pour qu’il me voit ou lise sur mes lèvres facilement, je savais où l’installer dans la classe pour qu’il puisse profiter de tous les moments collectifs et des réponses de ses camarades, etc …
Oui mais mon métier c’est professeur des écoles. Mon métier c’est d’enseigner. D’enseigner à tous mes élèves. De les faire tous réussir. Tous même C.. Avoir des pistes pour l’accueillir n’était pas suffisant pour moi.
J’avais besoin d’entrer en communication avec lui pour le comprendre, l’aider, le faire progresser, etc … J’étais bien loin de pouvoir le faire. J’en étais même incapable en vérité car, je le savais, si lui comme moi étions français sur le papier, nous ne parlions pas la même langue. Du moins, nous n’utilisions pas les mêmes modalités pour communiquer.
Avec les élèves allophones qui ont fréquenté ou fréquentent encore ma classe, je pouvais utiliser l’oral pour communiquer. Je m’étais formée au FLE lors de mon année en SEGPA ou j’avais reçu la mission d’apprendre le français aux ENAF de l’établissement. Mais cette fois c’était différent. Je ne me sentais pas apte à lui dispenser des apprentissages qui lui soient véritablement accessibles, efficaces et porteurs de sens sans utiliser la parole.
Le constat de base était aussi simple qu’évident :
Je parlais et entendais. Lui ne pouvait pas le faire.
En revanche, il signait et moi je ne savais pas le faire.
Je pouvais faire en sorte de changer cette variable car quand on ne sait pas, on apprend !
Je suis de ces gens qui pensent que rien n’arrive par hasard. J’ai toujours été tentée d’apprendre la LSF mais n’avait jamais pris le temps de m’y pencher. Cette fois, c’était inévitable. Je devais l’apprendre (ou en tous cas m’y initier) pour faciliter le quotidien et les apprentissages de mon petit C..
Je n’avais pas suffisamment de connaissances pour pouvoir communiquer avec lui mais je pouvais faire en sorte de les acquérir.
Attention, à l’heure ou j’écris ces mots, je suis encore bien loin de maîtrisée la LSF et d’être bilingue. En revanche, je dispose de plus de « clés » qu’il y a 3 mois en arrière et cela me permet d’une part d’être plus sereine au quotidien quand je suis avec C. et d’autre part de mieux appréhender mes séances de classe avec lui. Le chemin est encore long mais passionnant …
(Essayer de) S’auto-former à la LSF
Pour me renseigner sur la LSF, je suis dans un premier temps allée consulter les articles de Priscilla PMFG, ancienne PE ayant appris la LSF et l’ayant mis en pratique en classe.
Priscilla Pmfg
Je l’ai également contacté sur les réseaux sociaux et elle a très gentiment répondu à mes questions à ce sujet et m’a guidé vers des comptes qui pouvaient m’aider et m’initier en douceur à cette langue à part entière. J’ai donc épluché durant l’été les comptes Instagram de :
Litte Bun Bao Femme bionique
Lyla Signes Comment ça se signe
En parallèle de ces temps d’apprentissage personnels, j’ai pris contact avec mon équipe de circonscription afin de voir si s’il était possible de disposer de masques transparents pour faciliter à C. la lecture sur mes lèvres mais aussi savoir comment il serait possible de me former de manière officielle à la LSF.
Si mes collègues (PE et AESH) et moi avons pu être équipés en masques inclusifs, il n’a pas été possible malheureusement de bénéficier d’une formation.
Il existe bien des formations MIN sur la LSF mais les inscriptions sont nationales et le nombre de places assez limitées selon les sessions. J’ai d’abord voulu tenter ma chance et m’inscrire (même si je ne faisait pas partie du public prioritaire) puis j’ai vu où se déroulaient les formations (aux 4 coins de la France mais pas près de chez moi) et j’ai décidé de ne pas m’inscrire car, si j’étais prise, cela aurait eu un coût personnel bien trop conséquent (déplacement, logement, alimentation, garde de mes enfants …).
J’ai donc poursuivi mon auto-formation en lisant certains ouvrages dédiés à la LSF (Ils m’ont été prêtés pour la majorité et j’en ai acheté 2.)
J’en aurais bien lu plus car d’autres me tentaient mais il me fallait rester raisonnable car j’ai également suivi des cours dispensés par Marie Cao sur la plateforme Udemy durant l’été (je les ai payé personnellement mais leur coût reste bien moindre que celui de la formation diplômante que j’envisageais au départ).
La place de la LSF dans ma classe
Depuis 2005, la langue des signes française (LSF) est reconnue comme une langue à part entière. Tout élève concerné (sourd, malentendant ou non) peut bénéficier d’un enseignement en langue des signes. Si la LSF peut être la langue d’enseignement des élèves sourds ou malentendants, elle peut tout à fait être enseignée aux élèves non sourds au même titre que l’anglais, l’allemand ou tout autre langue vivante !
Ainsi, au-delà de la nécessité que j’avais d’apprendre la LSF pour communiquer avec C., j’avais aussi le projet plus ambitieux d’initier mes élèves à cette langue pour plusieurs raisons :
– leur permettre de communiquer et de comprendre C. afin qu’il ne soit pas isolé,
– les sensibiliser à la différence et au handicap.
Nous avons donc commencé l’année en EMC en travaillant sur la surdité. L’accueil de C. s’est très bien passé. Les élèves ont tout de suite eu envie d’apprendre la LSF pour communiquer avec lui.
Nous avons ainsi mis en place un « rituel LSF ». Chaque matin, un élève tire au sort deux papiers dans le « panier à signes ». Sur ces papiers, on trouve des mots en lien avec l’école, la maison, la famille, etc … des thèmes et des termes préalablement sélectionnés par mes soins car en lien direct avec le quotidien des élèves. L’objectif était que les enfants puissent communiquer rapidement avec C.. Bien sûr, les élèves sont force de propositions et parfois nous n’avons pas besoin de tirer au sort car ils ont des demandes précises, souvent liées à un évènement vécu (une sortie scolaire est prévue alors on découvre les signes pour « château », « roi » …).
Le seul souci à ce moment-là, c’est que parfois ce sont des signes que je ne connais pas non plus ! Dans ces cas-là, je jette un oeil rapide au dictionnaire Elix qui me permet de voir le signe associé à un mot en vidéo. Et si jamais le terme n’y figure pas ou si j’ai un doute, je prends note et explique aux élèves que je vais me renseigner au plus vite pour leur donner une réponse (car non, la maitresse ne sait pas tout sur tout ! ;-)).
Les parents ont également été sensibilisés au handicap lors de la réunion de rentrée la famille de C. et moi-même avons présenté la situation de l’enfant et de la classe. Il a été expliqué que des aménagements de l’espace et notamment du niveau sonore allaient devoir prendre place dans la classe pour faciliter la scolarisation de C. au même titre que celle des autres enfants. Les parents se sont tous montrés ravis de ce projet qui ne pouvait qu’être bénéfique à leur propre enfant. C’est d’ailleurs à leur demande que mes élèves se transforment 2 ou 3 fois dans la période en « prof de LSF ». Riches du vocabulaire vus lors des temps de rituels LSF, nous réalisons des vidéos que nous envoyons aux familles pour les initier également à cet apprentissage.
C. n’est cependant pas en classe avec moi tout le temps. Il a des temps de travail dans le dispositif ULIS ainsi que des temps d’activité avec les professionnelles de l’IES (Institut d’enseignement sensoriel). Une enseignante de LSF intervient auprès de C. dans ma classe une heure par semaine. Durant ce temps, nous avons choisi de travailler ensemble, avec tous les élèves sur un support commun : les ouvrages Narramus. Cela permet aux élèves de travailler à la fois le langage oral et les compétences de pré-lecteurs mais cela leur apporte aussi désormais des connaissances en LSF car ma collègue de l’IES signe l’histoire pour C. En plus de mettre en scène les histoires proposées ou de les raconter, les enfants apprennent également à les signer. Et croyez-bien que l’association du geste à la parole est ultra-bénéfique pour tous ! Même si cela me demande un peu plus de temps de préparation en amont que d’ordinaire, j’en ressors toujours plus riche de nouvelles connaissances.
La LSF a aussi pris place dans le quotidien de classe : les élèves signent pour se demander du matériel, pour demander à aller aux WC, pour s’inviter à travailler ensemble … Et ils le font naturellement car ils ont vite constatés que cela réduisait le bruit dans la pièce. Cela permet à C. d’être bien dans la classe mais cela leur permet aussi de bénéficier d’un cadre d’apprentissage calme et serein.
Lors de la récréation aussi les enfants vont demander à C. s’il veut jouer avec eux ou à quoi ils veut jouer. Ils signent « cerceau », « ballon », « course », etc …
Les voir échanger TOUS ensemble sans difficulté, cela fait vraiment chaud à mon petit cœur de maîtresse qui avait si peur de débuter l’année scolaire il y a quelques semaines encore ! Ils n’ont donc pas fini de me dire
« Mais ne pleure pas maitresse ! (car oui j’ai la larme facile, surtout depuis que je suis maman !) Ce n’est pas triste. Nous on est heureux, regarde ! ».
Pour eux il n’y a pas de différences. Il y a juste des copains.
Et demain ?
Pour pouvoir accueillir et travailler avec C., je me suis donc auto-formée sur mon temps personnel et à mes frais (le prochain qui me dit que les profs ne font rien en vacances je lui propose de revivre mon été avec moi, il ne sera pas déçu du voyage !).
Bien sûr, tout cela est bien loin d’avoir été une formation digne de ce nom, avec diplôme à l’appui ou figurant sur mon espace iProf (mais croyez bien que j’aimerais !).
Mais, même si j’ai beaucoup appris, j’ai malgré tout encore la sensation de faire avec « les moyens du bord ». J’ai l’impression que ce que je réalise au quotidien avec C. c’est un peu un pansement sur une jambe de bois. Ce n’est peut être pas inutile mais il est certain que ce n’est pas le plus adapté.
Je ne me sens pas légitime dans le ce que je fais avec lui. J’ai en permanence peur de faire faux, de lui montrer des signes qui ne sont pas les bons, de ne pas disposer de suffisamment de temps pour lui ou pour les autres. Mon travail à ses côtés ne sera jamais aussi efficace que celui d’une personne véritablement formée. Et j’aimerais vraiment pouvoir être cette personne pour lui. Nous sommes nombreux (pour ne pas dire tous) convaincu-e-s par l’école inclusive. J’évolue au sein d’une équipe qui y croit dur comme fer et qui fait tout pour que cela soit possible au sein de l’établissement.
Mais cette expérience me conforte vraiment dans l’idée qu’on ne peut pas donner vie à cette école inclusive n’importe comment.
Je ne suis pas du genre à me laisser abattre à la première difficulté. Je vois toujours le positif dans toute chose, je fais face, je me prépare, je m’équipe, j’avance et je passe à la suite.
Pourtant je ne peux pas m’empêcher de me demander « Et demain ? Comment ça va se passer pour C. ? Pour les collègues qui l’auront en classe ? Comment vivront-ils cela ? ».
De mon côté, j’ai déjà vu trop de petits miracles notamment en terme de gestion de classe pour mettre la LSF au placard une fois que C. aura quitter ma classe. Je vais continuer de l’utiliser les années suivantes dans l’intérêt des élèves entendants ou pour rendre le cadre de travail en classe encore plus calme et serein.Je me sens vraiment chanceuse de vivre cette année aux côtés de C. qui m’en apprend plus que ce qu’il croit.
Cependant, pour avoir échangé avec des nombreuses collègues dans le même cas que moi (c’est-à-dire accueillant des élèves sourds ou malentendants dans leur classe), je sais que ma façon de faire et d’envisager tout ce qui m’arrive n’est pas celle de tous. On n’a pas tous le temps ou l’énergie de se former seul. On ne vit pas les évènements de la même façon et ce genre d’expérience peut tout autant enrichir que détruire l’estime de soi ou la confiance en soi. Cela peut faire douter de ses compétences et faire penser qu’on n’est pas à la hauteur.
Et en effet … Cela ne relève pas de nos compétences puisque nous n’avons jamais pu les travailler et les valider (alors même que nous les faisons en classe avec nos élèves). Alors comment se sentir à la hauteur d’une mission pour laquelle on a jamais été préparé ?
Cette image est souvent utilisée en formation pour traduire la nécessité de différencier dans nos classes. Pourtant, cette année, je me sens tantôt éléphant, tantôt poisson rouge. J’ai été (et suis encore même) l’élève en difficulté qui a besoin qu’on l’aide, qu’on l’accompagne, qu’on lui apprenne, qu’on s’adapte à lui.
Je ne pense pas être la seule à avoir à la fois l’envie et le besoin d’être formée. Nous sommes nombreux dans ce cas et j’espère de tout cœur que ce sera bientôt possible non seulement pour pouvoir nous adapter à chaque élève et lui offrir le meilleur des enseignements possible mais aussi pour que chaque enseignent puisse se sentir armé face à toutes les situations possibles et, pourquoi pas, se découvrir des nouveaux centres d’intérêt et envisager des perspectives de développement professionnel.
Car, comme le disent si bien Danièle Adad et Pascal Bihannic, quand on est bien dans sa tête, on est bien dans sa classe. Quand on est bien dans sa classe, on est bien avec ses élèves. Quand on est bien avec ses élèves, ils se sentent bien également et progressent d’autant plus. Qu’ils soient entendants ou pas ! 😉
Laisser un commentaire