Vous êtes nombreux à me questionner sur la gestion des devoirs dans ma classe de CP. Malheureusement, je ne peux répondre à aucune question sur le sujet avec précision pour la simple et bonne raison que je n’en donne plus depuis près de 3 ans.
Oui, vous l’avez compris depuis mon changement de pratique, il n’y plus ni évaluation au sens strict du terme, ni places attitrées, ni système de gestion des comportements ni devoirs à la maison ! (Dit comme ça on peut se dire que c’est l’anarchie total et la foire à la saucisse entre les 4 murs de ma classe non ? lol).
J’ai en effet dit adieu à bon nombre de choses pour pouvoir faire évoluer mon enseignement vers un seul et unique but :
offrir un temps d’apprentissage effectif maximal à mes élèves.
La suppression des devoirs à la maison découle de nombreuses réflexions et de plusieurs raisons.
Avant de vous en donner tous les tenants, il est je pense important de rappeler ce qui peut être considéré comme « devoir ». Ainsi, et selon les documents officiels, un enseignant ne peut pas donner à ses élèves un travail écrit à faire en dehors de la classe. À la sortie de l’école, le travail donné par les maîtres aux élèves se limite donc à un travail oral ou des leçons à apprendre.
En prenant mon poste définitif, je savais alors que je ne devais pas donner de devoirs écrits mais je savais également que je voulais prendre une voie totalement différente (même si non recommandée dans les textes) :
ne plus donner de devoirs du tout.
Voici donc les raisons qui m’ont poussées à prendre mes distances avec les devoirs !
Du côté des élèves et des familles
Les familles allophones
Un des premiers éléments qui m’a poussé à ne plus donner du tout de devoirs à mes élèves est la proportion de familles allophones fréquentant l’école où j’enseigne. Chaque année dans chaque classe, il y a un ou plusieurs élèves dont la famille ne parle que peu voire pas français.
Comment demander à ces parents de suivre et d’aider leur enfant dans ses devoirs alors même qu’ils ne peuvent ni les lire ni les comprendre ? Cela mettrait, non seulement l’élève, mais également sa famille en difficulté face aux apprentissages ! En tant que maman, je ne peux qu’imaginer la peine, la détresse et même certainement une certaine honte que je pourrais ressentir en voyant mon fils, perdu devant ses devoirs, et moi à côté, ne parvenant pas à l’aider comme las autres parents pourraient le faire.
Je ne souhaitais plus mettre des parents dans de telles situations.
Certes, ce n’est pas le cas de tous les parents et ce n’est pas le cas de toutes les écoles. Mais ce cas de figure fait partie de mon contexte d’enseignement et je me dois de le prendre en considération.
Les horaires de travail
D’un autre côté, une proportion tout aussi importante de familles qui fréquentent mon école est dite « frontalière ». Enseignant en Moselle, à la frontière avec le Luxembourg, j’ai chaque année face à moi des élèves dont au moins un des deux parents travaille dans ce pays. J’ai moi même bon nombre de membres de ma famille qui s’y rendent chaque jour pour travailler et je sais qu’avec le trafic routier, ces parents doivent partir tôt le matin et reviennent souvent tard le soir, après 18h30. Ils ne voient donc leur enfant que très peu dans une journée, très souvent et uniquement pour le bain, le repas et le coucher.
Comment demander à ces familles de prendre encore du temps pour réaliser les devoirs alors que chaque membre de la famille est fatigué et plus en mesure de se concentrer ?
De plus, pour que les élèves puissent être efficaces lors des temps d’apprentissage en classe, il a été prouvé par les chrono-biologistes l’importance de profiter d’un temps de sommeil conséquent. Je trouve également personnellement que profiter d’un temps avec les membres de leur famille pour échanger, jouer, s’amuser … est primordial pour mettre l’élève dans de bonnes conditions pour apprendre. N’oublions pas que, en classe ou ailleurs, nos élèves sont avant tout des enfants ! C’est cette donnée qui prime sur toutes les autres à mes yeux.
Conflits éventuels
J’ai pris aussi cette décision car de nombreux parents m’ont fait part il y a quelques années des tensions que pouvaient créer les devoirs à la maison. Entre les parents qui ne parviennent pas (pour diverses raisons) à aider leur enfant et ceux qui souhaitent l’aider en utilisant une technique non-connue de l’élève parce que « la maîtresse a dit de faire comme ça », il n’est ainsi pas rare de voir le temps des devoirs devenir un moment de tension et de conflit qui est, à mon sens, loin d’être indispensable au sein des familles.
Du côté de l’enseignant
Épuisement et énervement
De mon côté, je dois avouer que, les devoirs, j’en avais simplement marre !
En CP, en début d’année, les élèves ne sont pas en capacité de les écrire. Il faut donc les anticiper, les penser, les préparer, les imprimer, les découper puis prévoir un moment dans l’emploi du temps pour les coller (ce qui est extrêmement chronophage !). Au bout d’une semaine, d’un mois, une période, ce temps passé à coller les devoirs est considérable. C’est une perte conséquente non seulement pour les temps d’apprentissages mais également pour mes préparations : le temps que je passais pour préparer la liste des devoirs représentait une somme de temps importante que j’aurais pu passer à préparer des adaptations pour aider des élèves en difficulté.
Conscience professionnelle
Donner des devoirs, que ce soit de la lecture, une leçon à apprendre où autre … me posait beaucoup de questions et mettais à mal ma conscience professionnelle. En donnant des devoirs, j’avais toujours eu le sentiment de demander aux parents de « combler mes manquements », d’être enseignanst à la place de l’enseignante.
Regarder les devoirs, préparer le matériel, réaliser l’activité, épauler son enfant dans son instruction …
Si l’actualité et les médias débattent régulièrement du fait que les parents sont « passifs », attendant que l’école fasse l’éducation de leurs enfants à leur place, je pense que la question peut se poser à l’inverse concernant les devoirs. Comment l’enfant qui n’a pas compris la leçon à l’école pourrait-il mieux comprendre à la maison sans disposer de l’intervention de l’enseignant ? En donnant des devoirs à cet élève, j’espérais que ses parents puissent l’aider en-dehors de la classe, lui permettre de comprendre et d’apprendre. En bref, j’espérais (consciemment ? peut-être !) qu’ils réussissent là où j’avais échoué dans ma mission.
A qui servent les devoirs ?
Tout cela m’a ensuite amèné à me poser une autre question : à qui les devoirs sont-ils réellement utiles ?
En partant de l’évidence de l’impossibilité de donner des devoirs portant sur des notions nouvelles et inconnues aux élèves et que, de ce fait, je donnais des devoirs sur des apprentissages en cours, plusieurs questions se posaient :
Est-il pertinent de donner des devoirs aux élèves les plus avancés en sachant pertinemment qu’ils les feront sans problème, très rapidement et que, de ce fait, cela ne représentera pour eux que du « rabachage » qui risque dot de les dégouter de l’école sur le long terme ?
De même, donner des devoirs à des élèves en difficulté qui ne pourront pas profiter du soutien de l’enseignant et peut être même pas de l’aide de leur entourage, n’est-ce pas les mettre encore plus en difficulté au sein d’une école prônant l’égalité des chance et la confiance ?
Changement de pratique
Si une relation école-famille est nécessaire dans l’intérêt des élèves, il est également important je pense de laisser chacun exercer son rôle comme il l’entend, dans l’espace qu’il occupe.
Aussi, dans le cas des devoirs, je ne souhaitais pas chercher et proposer des réponses qui demanderaient aux élèves de réaliser des activités scolaires « hors classe ».
J’ai donc décidé de proposer une réponse directement au cœur de ma classe en changeant les pratiques auxquelles j’étais habituées.
J’ai ainsi supprimé de mon emploi du temps le créneau de fin de journée intitulé « Devoirs-Cartable » que l’on m’avait conseillé de prévoir les années précédentes.
Cette abandon m’a ainsi permis de gagner 1 heure d’enseignement par semaine !
La seule et unique chose que je conseille à présent aux familles (et non pas « oblige » ou « prescrit ») est d’encourager et d’accompagner (dans la mesure de leur possibilités et capacités) leur enfant à lire.
« Si c’est en forgeant que l’on devient forgeron, c’est en lisant que l’on devient lecteur. » tel est ce que je leur explique dès la réunion de rentrée. L’abandon des devoirs a toujours été très bien accueilli par les familles.
Mes élèves emportent avec eux chaque jour le cahier de lecture du soir afin que tous les élèves, notamment les plus en difficulté puissent disposer à tout moment d’un support de lecture connu.
Des livres adaptés au niveau des élèves sont également disponibles en classe et mis à la disposition des élèves à partir de la période 2 afin que chacun puisse en prendre avec lui à la maison pour varier ses lectures sans pour autant demander aux familles d’acheter des albums, ce qui peut vite devenir onéreux !
S’ils lisent à la maison, c’est bien ! C’est même génial !
Si non, je sais que je peux compter sur des temps spécifiques qui ont été prévus dans mon emploi du temps et mon fonctionnement dans ce but (centre guidé, centres d’autonomie, moment « Chut, je lis » en temps calme, tutorat …).
La veille de chaque période de vacances, un petit billet est envoyé aux parents via Klassroom et est collé dans le cahier de liaison de mes élèves. Il donne non pas des devoirs mais des conseils et pistes de travail. Les élèves sont prévenus en amont des pistes de travail. Elles leur sont aussi présentées par mes soins, en classe, comme une mini-leçon. Avant de partir en vacances, on essaye en classe, on met en scène, … pour que les élèves puissent visualiser ce qui leur est conseillé de faire. J’essaye également de leur prêter (autant que faire se peut) du matériel utilisé en classe (ex. : dés, aides à la lecture …) afin qu’ils puissent s’en servir à la maison, échanger avec leur famille autour de ces objets nouveaux qui ont une fonction particulière. Par ce prêt, les élèves sentent que je leur fais confiance et sont plus motivés à travailler un peu hors de la classe. Etant donné qu’ils maîtrisent le matériel et savent l’utiliser, je sais qu’ils n’auront pas nécessairement besoin de l’aide de leur entourage pour travailler.
Voilà donc toute l’histoire de ma relation avec les devoirs. Nous n’avons pas vraiment rompu. Disons plutôt qu’on tente de cohabiter plutôt que faire « classe à part » ! 😉
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