Cette année je tente de mettre en place en EMC des séances un peu particulières de discussions, étude de cas, débats … afin de mettre en place un réel temps d’éducation à l’empathie.
L’empathie qu’est-ce que c’est ?
C’est la capacité à ressentir les émotions de quelqu’un d’autre, à se mettre à la place d’autrui.
L’empathie a deux formes principales :
- l’empathie cognitive qui consiste à comprendre les idées d’un autre
- l’empathie émotionnelle qui consiste à comprendre et à partager les sentiments d’autrui.
J’ai personnellement décidé de me pencher plus particulièrement sur la deuxième sorte d’empathie avec mes élèves cette année pour plusieurs raisons.
Pourquoi vouloir « enseigner » l’empathie ?
Si l’empathie est un sujet qui m’intéresse beaucoup depuis un moment (notamment depuis que je suis devenue maman), je ne me suis réellement penchée sur son enseignement à l’école qu’en septembre.
En effet, je me suis retrouvée face à un groupe classe que l’on pourrait sans peine qualifier de « difficile », avec plusieurs élèves plutôt perturbateurs et ayant de nombreuses difficultés de gestion du comportement.
Les violences en tous genres (physiques et verbales), l’insolence, les regards défiants et les gestes déplacés envers les adultes de l’établissement étaient des éléments d’expression naturels pour une grande majorité de mes nouveaux élèves.
Malgré toutes mes lectures autour des comportements et des troubles associés, malgré toutes les choses mises en place dans ma classe pour offrir un cadre serein de maitrise de leur comportement, je me suis vite sentie perdue et démunie face à ces élèves à l’attitude « incroyable pour des CP ».
J’ai un temps songé à remettre en place un système de gestion du comportement qui ferait perdre des points ou en gagner, comme j’avais il y a quelques années et qui est bien connu dans les classes en général, mais je n’ai pas pu m’y résoudre car :
- Tout d’abord, étant donné l’ampleur des « écarts » aux règles auxquels je devais faire face en classe, il m’aurait fallu une bonne vingtaine de niveaux différents pour établir une échelle viable. Cela aurait été une perte de temps et d’énergie considérable pour moi (et j’étais déjà bien assez épuisée sans cela !)
- Ensuite, je ne voulais pas tomber dans un système d’obéissance pure et simple. A l’école et même au-delà, dans la société, tout est basé sur l’obéissance à la loi, aux règles : « Tu ne dois pas frapper ton camarade parce que c’est interdit par les règles de l’école ». Je voulais absolument éviter cette obligation « bête et disciplinée » et vraiment garder dans ma classe un esprit positif selon lequel, si je ne peux pas frapper un camarade c’est avant tout parce que ce camarade est un alter ego, un être humain comme moi, qui mérite un traitement bienveillant, comme moi. Je pourrais être lui et il pourrait être moi, demain, dans une situation inverse mais similaire.
- pour finir, cela m’aurait demandé de renier tout ce en quoi je crois en termes de comportements. Je ne pouvais pas faire un tel pas en arrière. Je ne m’y autorisais pas. Comment aurais-je pu faire un trait sur autant de convictions à la première difficulté ? Cela m’était impossible. Quand on croit en quelque chose, on lève la tête et on y va.
J’ai donc finalement décidé de retrousser mes manches plutôt que de me laisser abattre ou dépasser et je me suis réfugiée dans une alternative que je maitrise assez bien et qui devait pouvoir offrir à ma classe une marge de progression conséquente : ENSEIGNER !
Mais comment faire ? Les situations étaient tellement variées et explosives que je ne voyais d’abord pas comment j’allais pouvoir agir efficacement. J’ai donc sortir mon cahier de maitresse et mes fiches de suivi individuel pour observer mes petites têtes blondes, brunes et noires et prendre des notes. J’ai très vite pu remarquer des éléments récurrents et des difficultés majeures qui étaient :
- la non-maitrise de l’impulsivité : les élèves posant des difficultés ont un comportement qui peut être sans peine qualifié d’éruptif. Le moindre haussement de sourcil d’un camarade peut les faire sortir de leur zone de calme et partir dans des excès de violence extrême.
- la non-compréhension de leurs propres émotions : plusieurs élèves ne parvenaient pas à mettre de nom sur leurs émotions. Tristesse et colère étaient identiques à leurs yeux. Rire était toujours synonyme de moquerie pour eux ce qui causait bon nombre de conflits.
- un égocentrisme très fort : les élèves présentant le plus de résistance étaient en général très « égoïste ». Jamais ils ne portaient de regard sur les autres (ou alors uniquement négatif suite à une altercation).
J’ai dans un premier temps cherché de l’aide autour de moi en parlant avec mes collègues, en prenant contact avec les enseignants précédents des élèves, … Soupçonnant des troubles du comportement pour certains mais n’étant pas formée à les diagnostiquer moi-même, j’ai monté des dossiers bien fournis et détaillés de demandes d’aides au RASED, élaboré des PPRE, anticipé des PAP, rencontré les parents pour mettre en place une co-éducation efficace, etc … Bref, j’ai fait absolument tout ce qui était en mon pouvoir d’un point de vue administratif mais, n’ayant plus de psychologue scolaire ni de maitre G dans mon école et ne sachant du coup pas quand des bilans pourraient être faits pour envisager une suite et un suivi pertinent pour chacun des enfants concernés, je ne pouvais pas rester les bras croisés à ne rien faire et à attendre qu’un miracle opère. J’ai donc sorti mon ordinateur pour chercher ce que je pouvais faire de plus, au quotidien, pour améliorer le climat scolaire mais, aussi et surtout, aider mes élèves à mieux se maitriser dans l’avenir.
L’éducation à l’empathie m’est alors apparue comme une solution adaptée à mes constats et aux besoins de mes élèves.
Oui car en fait le problème venait de là.
Ces élèves n’avaient que peu d’empathie.
Je m’interdis à dire qu’ils n’en ont pas car j’ai pu lire beaucoup d’articles sur le sujet et appris que l’empathie est en quelque sort « innée ». Voici un petit reportage qui pourra sans doute vous éclairer sur la questions.
Et là, j’entendais déjà les remarques de Grand-Tonton, le dimanche midi chez mamie, me venir aux oreilles : « Mais y a pas d’histoire d’empathie ou quoi, ou qu’est-ce ! C’est les jeunes d’aujourd’hui qui ne sont plus éduqués … et ils font n’importe quoi … et ils sont sur leurs tablettes toute la journée … de mon temps on jouait dehors, on ne faisait pas tout ça … et bla bla bli et bla bla bla. ».
Alors oui, Grand-Tonton. Tu as raison. De ton temps, tu ne jouais pas sur la tablette. Tu ne pouvais pas. Il n’y en avait tout bonnement pas ! Le fait est qu’aujourd’hui, il y en a. Que tu le veuilles ou non, c’est comme ça. Ca s’appelle le XXième siècle. Les tablettes, les ordinateurs, les smartphones, etc … ça existe ! Et que les enfants en aient entre les mains ou non, ils naissent tous dans un monde où ces éléments font et feront partie de leur quotidien de vie et de travail. Donc plutôt que de critiquer et de jeter la pierre sur les autres parce que c’est tellement plus facile que de balayer devant sa porte, je préfère essayer de réfléchir à la question pour tenter de faire avancer le schmilblick. Rester là à faire des constats qui ne servent à rien, à émettre des critiques alors que je n’ai pas de solutions pour améliorer les choses, ce n’est pas mon truc et, mis à part à brasser du vent, ça ne sert pas à grand chose.
Donc, voilà les faits, les vrais : Les élèves du XXIème siècle vivent à une époque où tout va vite, où tout change constamment. Ils appuyent sur un bouton et HOP ! Quelque chose se passe. Action, réaction ! Entre les deux, pas de réflexion nécessaire. Ca se fait, c’est tout, c’est comme ça. (Quelqu’un a fait en sorte que cela puisse se produire bien sûr, mais ce travail de réflexion n’est pas du ressort de l’utilisateur. Lui il profite seulement de ce travail.) En fait, j’ai finalement pu remarquer que mes élèves agissent pareil en terme de comportement. On les regarde. Ils frappent. Action, réaction ! Entre les deux, pas d’observation, pas d’analyse, pas de relation.
Ainsi, avant que mes élèves puissent se mettre à la place des autres et les considérer comme des êtres à part entière, dotés de sentiments, d’émotions et des volontés propres, ils devaient d’abord apprendre à prendre le temps de se connaître, de passer du temps ensemble et de créer des liens entre eux.
Non seulement, cela leur servira en classe dès aujourd’hui, mais cela leur sera indispensable quand ils entreront dans le monde du travail demain.
La compréhension des sentiments et des points de vue des autres est le fondement d’une bonne communication, d’un esprit d’équipe.
Concernant l’empathie, deux sources me sont rapidement apparues comme incontournables. Il s’agit des travaux de Catherine Gueguen et du sociologue Omar Zanna. Leurs travaux sont tellement riches que je ne pourrais vous les résumer ici. Je vous glisse donc en priorité les liens vers leurs vidéos et certains de leurs ouvrages que j’ai pu découvrir (merci les copines pour le prêt ;-)) afin que vous puissiez vous faire une idée précise de leur travail et de ce qui me sert de base de travail avec mes élèves.
Document Eduscol suite à une expérimentation du livre
Voici un ouvrage de O. Zanna et B. Jarry qui est cité en référence sur le sujet partout mais que je n’ai pas pu lire (Il est malgré tout dans ma liste de lectures à venir ;-)).
Je me suis aussi inspirée des activités proposées dans les ouvrages de la collection « Le cabinet des émotions » de Stéphanie Couturier (éditions MARABOUT) que j’avais découvert sur le blog de La Maitresseuh. Un des ouvrages est centré sur l’empathie et les autres sont spécifiques à différentes émotions (colère, peur, confiance en soi …).
Ces petits ouvrages à moins de 6€ sont de véritables petites mines d’or, des boites à outils normalement destinées aux parents mais dont les activités sont tout à fait réalisables en classe pour améliorer le climat scolaire et aider les élèves à gérer leurs émotions et à résoudre leurs problèmes ensemble.
J’ai aussi pu découvrir grâce à ma collègue Un tour en ULIS et à l’ouvrage « Troubles du comportement en milieu scolaire », le jeu des Trois figures.
C’est une activité théâtrale créée en 2007 par Serge Tisseron pour lutter contre les effets délétères de la surconsommation d’écrans en développant la réflexion critique, et en encourageant les compétences exécutives et l’empathie de la maternelle au collège. Il est appelé ainsi en référence aux trois personnages de l’agresseur, de la victime et du tiers, qui peut être simple témoin, redresseur de torts ou sauveteur. Ce jeu ne peut être pratiqué qu’après une formation reconnue par un diplôme. Si ma collègue bénéficie d’une intervention reconnue pour pratiquer ce jeu avec sa classe régulièrement, je n’ai pas pu personnellement le pratiquer avec mes propres élèves. Pour me consoler, j’ai cherché sur le net et j’ai regardé des vidéos sur le sujet. Je m’en inspire un peu pour élaborer des activités mêlant théâtre et EMC car il se trouve que mes élèves se révèlent dans les activités artistiques, notamment la comédie. Les séances menées avec la méthode Narramus en compréhension de texte m’ont permis de les découvrir sous un autre angle et l’utilisation de la mise en scène est un excellent moyen de mettre à jour des éléments qui ne sautent pas aux yeux des enfants « sur le vif ».
En étudiant la liste des éléments sur lesquels agir pour développer l’empathie en classe, j’ai pu me rassurer un peu. Le long travail mené depuis plusieurs années sur l’aménagement de classe, le changement de pratique … m’offraient de « bonnes bases » et beaucoup de clés pour faire aboutir ma démarche :
- repenser ses pratiques : centres d’autonomie, changement de posture de l’enseignant …
- revoir l’espace classe : classe flexible, pôles d’apprentissage …
- développer des dispositifs pour réguler ses émotions : activités EMC sur les émotions, centre du calme, outils d’aide à la concentration (casques, brise-vue …)
- changer sa façon d’évaluer : fin des évaluations sommatives, mise en place du cahier de progrès …
- mettre en place une pédagogie coopérative : activités d’EPS pour mieux se connaître, mise en place du tutorat et de l’entraide …
En novembre dernier, l’académie d’Amiens a publié une « fiche de route » à destination des enseignants afin de promouvoir l’empathie en classe. Elle reprend les éléments cités plus haut en les organisant de manière à créer une logique de mise en palace en classe. Voici donc les 3 étapes principales conseillées pour établir une éducation à l’empathie en classe :
- Se préparer (phase spécifique de l’enseignant)
- Créer un espace sûr
- Développer des compétences émotionnelles
- Montrer l’exemple
- S’engager
- Jeux en groupe
- Raconter des histoires
- Immersion
- Résolution collective de problèmes
- Réfléchir et agir
- Identifier les valeurs communes et les différences
- Instiller du courage
- Permettre l’action
Le travail sur les émotions
Comme spécifié dans la fiche de route ci-dessus, pour développer l’empathie, un gros travail préalable sur l’identification des émotions est nécessaire. C’est sur ce point que j’ai accès de nombreuses séances de classe en EMC, en compréhension de textes, …
Durant la première période de l’année, les séances de travail sur les émotions se sont basées sur des albums de littérature de jeunesse. Beaucoup d’entre eux parlaient de la colère car c’est l’émotion que posait le plus de difficulté à mes élèves.
Voici un petit tour des albums que j’ai pu faire découvrir à mes élèves ainsi que quelques liens vers des supports d’exploitation que j’ai pu utiliser. (Là encore, merci aux collègues et copines pour les prêts).
Voici un lien vers le blog La classe de Luccia et une séquence de travail sur la Couleur des émotions « façon Narramus ». Merci à la collègue pour ce super boulot qui m’a énormément aidé dans ma démarche !!
Un gros travail « sur le vif » a été réalisé avec les élèves qui en avaient le plus besoin : « débriefing » après un comportement déviant, réflexion individuelle ou collective (selon les cas) …
Une fois que mes élèves avaient pu découvrir tous les secrets de leurs propres émotions, il a fallu mener avec eux un travail d’analyse des émotions des autres. Comme je le disais précédemment, mes élèves étaient très impulsifs et ne prenaient pas le temps d’observer leur camarade pour bien saisir leurs émotions et leurs volontés d’action. Pour se faire j’ai créé un petit diaporama permettant de faire comprendre aux élèves qu’il faut réfléchir avant d’agir et observer avant de tirer des conclusions hâtives. Dans ce diaporama, les émotions sont toujours analysées de la même façon afin que les élèves puissent établir un processus d’analyse des émotions.
1. Découverte d’un visage
2. Repérage d’une émotion
3. Analyse des indices corporels
4. Recherche des causes de l’émotion
5. Anticipation des actions possibles
Pour conclure, je pense qu’enseigner et développer l’empathie en classe n’est pas à sens unique.
Les élèves y gagnent beaucoup et les progrès sont visibles au sein de ma classe. Ils peuvent se voir chez certains élèves dont le comportement a vraiment radicalement changé, dans le meilleure sens possible. Pour d’autres, les évolutions et les progrès sont sensibles mais bien là malgré tout. Chacun son rythme. Laissons faire le temps.
L’enseignant y gagne aussi beaucoup. Peut-être même plus que les élèves. J’y gagne personnellement énormément chaque jour. Développer l’empathie c’est un peu de l’auto-formation en direct sur le terrain. Par cet enseignement particulier, je découvre mes élèves sous un nouveau jour. Ils se révèlent en me révélant de manière plus ou moins explicite des éléments qui me permettent de mieux les comprendre, des éléments qui, une fois décryptés, permettre de mettre à jour bien des explications sur des éléments passés.
Il est indéniable que je développe également ma propre empathie. Je pensais en avoir. J’en avais très certainement. Je peux encore en avoir plus. Je pense à présent que l’empathie n’est jamais totalement acquise.
Tout peut toujours être amélioré. Même l’empathie.
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